Hagondange

Souvenez-vous : je vous ai parlé, il y a quelques temps, de Thomas et de ses « escapades toxiques »… Si elles m’ont tant touchées c’est que moi aussi j’ai une tendresse particulière pour ces sites abandonnés des hommes qui ouvrent parfois des horizons incroyablement neufs.

Cela remonte au printemps 1992, un voyage hors du temps réalisé dans la cimenterie d’Hagondange, en Lorraine. Menacée par les bulldozers, ce site vétuste, pourtant dépositaire de trésors graphiques et architecturaux, m’était apparu comme magique, créateurs de mondes parallèles. Exploration à la limite du permis, ce lieu mystérieux, comme en attente, a provoqué des sensations et émotions inoubliables. N’ayant pas jusque là d’attirance particulière pour les friches industrielles, j’avais la sensation de me lancer dans une nouvelle aventure sans imaginer la séduction que la cimenterie allait avoir sur moi.

Lieu déserté, où tout s’est tu, elle m’a fait l’effet d’une cité abandonnée, apparaissant à la sortie d’un lotissement sans caractère, droite, fière et silencieuse dans ce paysage pluvieux. Bien réelle avec ses grands toits, ses tours, ses silos, ces masses sombres qui se découpaient sur le ciel gris… Impressionnante aussi, j’ai surmonté mon appréhension pour la découvrir à pas prudents. Tout semblait agencé de main de maître et ma promenade sur le site fut rythmée de surprises : squelette de béton armé, matières fabuleuses, cuves et autres structures métalliques, alourdies par la poussière, atteintes par la rouille… dalles, plafonds aussi beaux qu’une œuvre picturale accomplie. Espaces dignes des plus grands où la lumière jongle avec la matière, pour mieux vous la révéler, et se pose simplement, pour vous donner envie de contempler…

Microcosme extraordinaire provoquant une succession de sensations envoûtantes, où partout miroitait l’eau du ciel. La hauteur, avec ce vertige qui vous guette à chaque instant, mais qui donne possession du paysage par ces vues dégagées… Le ronronnement scandé par l’usine voisine ajoutant un fond sonore à toute ces découvertes. Les espaces, digne des plus grands architectes où la lumière est là, rasant les murs, exhibant la matière.

Je me souviens être entrée dans un silo, où plutôt cinq se succédant, accueillant des stèles posées, alignées le long de tranchées, en rang comme des soldats à l’inspection, gardant le trésor des lieux. Des lignes de rouille, savamment dessinées, fruit d’un hasard, ou d’un besoin, définissent et limitent un socle, la rencontre d’un poteau avec le sol, ou  le début, le côté d’une rigole. Les ouvriers anonymes qui avaient construit cet édifice m’apparurent soudain comme inspirés d’ailleurs. L’architecture fonctionnelle de ces lieux avait, en effet, donné naissance à des images me rappelant P. MONDRIAN ou encore G.MATTA CLARK… Quelle modernité, quelle qualité artistique !

Et puis de cet édifice imposant, posé là comme le gardien du lieu. D’abord, on  le contourne cherchant par où aborder ce vaisseau fantôme. Et puis, on le cerne à l’aide de cette galerie, couverte de ces toiles d’araignées métalliques où restent accrochées des « particules » de béton. Enfin, on pénètre au cœur de l’édifice envahi de cette poussière blanche, ou grise, partout présente, nulle part constante : accumulée, conglomérée, sculptée, en suspension, figée ou juste posée. On se glisse dans l’interstice entre deux parois courbes pour déboucher au sein d’un espace qui éclate dans toutes les dimensions. Escaladant les gravats au centre du site, on peut aussi atteindre ce gigantesque vaisseau par le haut. on entre sur un palier à plus de dix mètres au dessus du sol, mesurant alors d’un seul coup d’œil, toute l’immensité de cet espace. Le regard alors au niveau de la charpente métallique, on peut admirer l’action du temps en ces dépôts de ciment et de poussière… comme si, en ses vieux jours, la structure s’était recouverte d’un manteau gris.

Et encore cette halle, en béton cette fois-ci, moins vaste, plus basse que la précédente, espace, à la structure claire, renfermant toutes les plus belles matières du site. Bleu, blanc, vert, rouille… Quel fabuleux décor ! Je rêvais de pouvoir grimper sur la galerie surplombant ce merveilleux paysage. Les matières, supportant humidité et courants d’air, s’étaient modelées de telle façon que je croyais avoir sous les yeux un paysage miniature… Des sols incroyablement riches en textures, où vous croyez voir l’action du plus grand magicien des couleurs : terres rouges, montagnes grises, neige verte, pierres bleues, forêts… mon imagination vagabondait devant tant de substances, tant de matériaux mis en valeurs par ces grandes flaques aux reflets argentés… Tout au long de sa vie de cimenterie, la matière est venue s’y perdre : calcaire, argile, gypse, pouzzolane… Toutes ces installations pour la maîtriser, la transformer… Devenue friche, étendue de particules, elle se laisse mourir, sous l’action de l’eau, du vent, du soleil… mise en scène de richesses auquel l’homme est étranger.

Murs mûrs d’un passé à exploiter…

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À propos valeriethierry
Architecte Urbaniste Rédactrice, passionnée de voyages pour les découvertes qu'ils offrent, et nul n'est besoin de parcourir la moitié du globe pour s'évader... Un bon livre, une rencontre, un spectacle... Autant de fenêtre sur le monde à ouvrir !

2 Responses to Hagondange

  1. Ping: Photographies de sites industriels | Lavoisy/Net

  2. WebOL says:

    J’ai tellement aimé ce billet que WebOL a plongé dans les tréfonds archéologiques de son site (sic), puis actualisé un billet intitulé Photographies de sites industriels

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